Le document d’archive présenté est l’acte de décès enregistré le 14 juin 1944 au camp principal de Natzweiler, concernant le général français Aubert Frère, déporté NN, pour faits de résistance, et décédé la veille. Cet acte a été signé par le médecin principal SS du camp, le docteur Heinrich Plaza.
L’acte est conservé au centre des Archives Arolsen, à Bad Arolsen, en Allemagne. Cette institution est un centre de documentation, d’information et de recherche sur la « persécution nationale-socialiste, le travail forcé et la Shoah », conservant en ligne les témoins archivistiques de l’univers répressif nazi. L’anniversaire des 80 ans du décès du général Frère au camp de Natzweiler, offre l’opportunité de revenir sur la biographie de cet officier supérieur ayant pris part à la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le général Aubert Frère est né le 21 août 1881 à Grévillers dans le Pas-de-Calais. À 19 ans, il entre à Saint-Cyr. Il débute sa carrière militaire en Algérie et au Maroc, où il reste dix ans. Sa conduite en Afrique, lui vaut une citation et d’être décoré de la Légion d'honneur, après seulement huit ans de service. Il retourne en France en 1912. En 1913, il est promu capitaine et est affecté au 1er régiment d’infanterie à Cambrai. Il se marie également le 5 mai 1914 avec Pauline Legrand (1894-1989).
Entre 1915 et 1916, il combat en Champagne, à Verdun et sur la Somme. Nommé commandant en 1917, il sert au sein du 6e bataillon de chasseurs alpins. Il est blessé à trois reprises. En 1918, il est alors nommé lieutenant-colonel.

Pendant l’entre-deux-guerres, Aubert Frère prend le commandement du 1er régiment d’infanterie, et en 1925, il est promu colonel et devient chef de l'école de chars de Versailles. Promu général de brigade en 1931, il devient commandant de l'école militaire de Saint-Cyr. En 1935, promu général de division, il prend la tête de la 11e division de Nancy. Plus tard, il devient général de corps d'armée et dirige la 3e région militaire (Rouen) puis la 10e (Strasbourg) durant la période allant de 1935 à 1939.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, il est nommé commandant du 8e corps d'armée à Strasbourg. C'est ce corps qui pénètre en Sarre pour une courte incursion en territoire allemand.
En mai 1940, alors que les Allemands bousculent l'Armée française, il est nommé en urgence commandant de la VIIe armée, avec l'impossible mission de barrer la route de Paris à l'envahisseur allemand. Il est de fait contraint de replier son armée sur la Dordogne, qui n’est pas défaite. Entre temps, la bataille de France est perdue et l'Armistice est signé le 22 juin 1940.
Le 1er juillet, Aubert Frère prend le commandement de la 12e région militaire à Limoges. En août, il est nommé commandant de la 14e région militaire à Lyon. C'est à ce moment-là que le général Frère entre en résistance. Il donne des ordres pour cacher armes et matériel pour les soustraire aux commissions d'armistice chargées de désarmer l'Armée française. Il est nommé général d'armée en 1941 et est affecté à Royat à la tête du 2e groupe de division militaire de l’Armée d’Armistice. Sous son commandement, il essaie d'insuffler l'esprit de résistance à ses troupes.
Les autorités commencent à le surveiller. Jusque-là dévoué au maréchal Pétain, le retour au pouvoir de Pierre Laval, provoque pour le général Frère un revirement psychologique et devient désormais hostile au régime de Vichy. Il s'oppose en effet de toutes ses forces à la politique de collaboration militaire avec les Allemands.

En novembre 1942, les troupes allemandes envahissent la zone libre. L'Armée d'armistice est dissoute. C'est à ce moment-là que les généraux Jean-Edouard Verneau, Robert Olleris et Georges Revers décident d'activer l'Organisation de Résistance de l'Armée (ORA). Ils demandent au général Aubert Frère de prendre la tête des opérations. Celui-ci accepte et le général Henri Giraud avalise cette décision. Aubert Frère, qui réside toujours à Royat, est étroitement surveillé d'abord par la police vichyssoise puis par la Gestapo. Malgré tout, il refuse de partir à Londres et tente de rentrer en contact avec d'autres mouvements de résistance.

Le 13 juin 1943, Aubert Frère et son épouse sont arrêtés par la Gestapo. Celle-ci n'a pas véritablement d'éléments à charge contre le général. Malheureusement le 24 juin, le colonel Bonotaux, membre de l'ORA, est arrêté après un passage à Londres. Il porte sur lui des documents qui indiquent sans ambiguïté que le général Frère est le chef de l'ORA. Le général Frère est donc clairement identifié par la Gestapo. Il est alors séparé de sa femme, qui est déportée à Neue Bremm puis à Ravensbrück. Le général est emprisonné d’abord à Clermont-Ferrand, Vichy puis à Fresnes, où il est interrogé sans relâche ni ménagements. Il reste neuf mois en détention à la prison de Fresnes. Le 1er décembre 1943, il comparait devant le tribunal.

Le 5 mai 1944, le général Aubert Frère est déporté en compagnie des généraux Robert Olleris, Pierre-Paul-Charles Grandsard, Jean Gilliot et le colonel Emile Bonotaux, au camp de concentration de Natzweiler. Ils sont classés Nacht und Nebel et destinés à disparaître sans pouvoir communiquer avec leurs familles respectives. Affecté à la baraque 11, le général Frère reçoit le matricule 13846, et se retrouve avec d’autres détenus français NN, dont Pierre Rolinet.

Le général Frère, invalide de guerre, qui a près de 63 ans, est soumis au même régime que les autres déportés au camp. Rapidement atteint d'œdème aux jambes, puis de diphtérie et de dysenterie, il est envoyé à l’infirmerie du camp (Revier) le 19 mai 1944 où il décède le 13 juin 1944.
Son acte de décès stipule officiellement qu’il est décédé à la suite d’une diphtérie, ayant eu pour conséquence une infection des voies respiratoires conduisant à une mort par asphyxie.
Pierre Rolinet, d’après son témoignage, est également présent à l’infirmerie au moment où Aubert Frère y est présent pendant une période d’une dizaine de jours. Il assiste aux derniers instants du général, avec qui, il a partagé des conversations sur la religion et la philosophie.[1]

[1] Témoignage issu de l’ouvrage cité, ci-après : Marandin, Jean-Pierre, Frères de misère. Protestants, résistants, déportés au camp de Natzweiler-Struthof, Besançon : EDITIONS DU SEKOYA, 2017, pages 107-108.

[Acte de décès de Aubert Frère], [1944], [01012902 011.465], [3167851], © Digital Archive, Arolsen Archives.

Photographie du portrait du général Frère, prise par le photographe Jean SCHERBECK (droits gérés par l’ADAGP), à Nancy en 1935.
© ONaCVG/CERD - Don Madame Boutbien