Dautmergen et Schörzingen, deux camps de concentration annexes du KL-Natzweiler[1]

Les documents d’archives présentés sont des courriers officiels échangés entre l’Inspection des camps de concentration (IKL) située à Oranienburg et le KL-Natzweiler. D’autres pièces sont des échanges officiels entre l’administration du KL-Natzweiler et ses camps annexes.
Ces documents ont été en partie collectés par l’armée américaine lors de la libération de camps annexes du KL-Natzweiler puis utilisés dans les procès d’après-guerre. Ils sont conservés aux Arolsen Archives, à Bad Arolsen, en Allemagne. Cette institution est un centre de documentation, d’information et de recherche sur la « persécution nationale-socialiste, le travail forcé et la Shoah », qui met en ligne des millions de documents sur la répression et la persécution nazies.

L’anniversaire des 80 ans de l’évacuation des camps annexes du KL-Natzweiler débutée en mars 1945, offre l’opportunité de revenir sur la période d’activité des camps de concentration de Schörzingen et de Dautmergen, derniers camps annexes du KL-Natzweiler à être libérés le 18 avril 1945 par l’armée française.

Face aux impératifs de la Guerre totale, une série de camps annexes sont ouverts pour servir l’économie de guerre du Reich, remettre en état des infrastructures et accroître la production industrielle en lien avec des entreprises privées (Bosch, Junkers…). Ils diffèrent de la première vague de camps utilisés pour les besoins de la SS (construction, entretien…).
Ces camps annexes reposent, tout comme pour le camp souche, sur la double hiérarchie des SS et des détenus, ainsi que sur une organisation répondant au principe de la délégation de pouvoir.
Les conditions de vie des détenus sont similaires aux autres camps de concentration tout comme le rythme et l’organisation des journées de travail répartis autour des appels et des affectations aux différents travaux au sein des kommandos de travail.

L’ouverture des camps annexes de Dautmergen et Schörzingen s’inscrit dans le cadre de l’« Opération Wüste » (« l’entreprise du désert ») débutée en 1943 dont la finalité répond aux besoins croissants de pétrole par la production d’huile de gypse issue de l’extraction de schiste bitumineux. Cette production d’huile de gypse se concentre autour de sites d’exploitation de carrières de gypse situées dans la région entre Tübingen, Balingen et Spaichingen. À cet effet, sept camps annexes dépendants du KL-Natzweiler sont créés, dont Dautmergen et Schörzingen.
Les détenus affectés à ces camps sont contraints au travail forcé dans une dizaine d’unités de production installées le long de la ligne de chemin de fer Tübingen-Rottweil et placées sous la responsabilité de l’organisation Todt.[2]

Au total, 5 000 détenus travaillent dans ces différentes unités de production destinées à l’extraction du schiste bitumineux.

Le camp annexe de Dautmergen

Le camp annexe de Dautmergen ouvre le 19 août 1944 sous le commandement du SS-Hauptscharführer Josef SEUSS. Les déportés sont employés à la construction de cinq sites d’extraction de schiste bitumineux (Wüste 5 à 9), à la transformation en huile du schiste pour la production de carburant et au terrassement. Le 1er août 1944, 15 déportés arrivent du KL-Sachsenhausen. Ce sont les futurs Kapos[3].

Le 23 août 1944, 2 000 déportés arrivent du KL-Auschwitz ; en septembre, 400 du KL-Dachau et 1 000 en octobre provenant du KL-Stutthof. Fin octobre 1944, 2 777 déportés sont présents au camp.

Les baraques sont construites à la hâte dans un champ entre Schömberg et Dautmergen. C’est un cloaque avec une profondeur de boue qui atteint 15 cm. Les conditions de vie et de travail sont telles que dans les premières semaines, 40 à 50 détenus décèdent par jour. Un triste record est atteint le 29 décembre 1944 avec le décès de 27 détenus pour cette seule journée. La situation inquiète même les autorités nazies. En conséquence, les conditions de vie s’améliorent nettement lorsque le camp est confié au commandant Erwin DOLD, sous-officier de la Luftwaffe blessé au combat, qui contre même systématiquement la volonté d’extermination par le travail de la SS et de l’organisation Todt. Après-guerre, Erwin DOLD a été le seul commandant d’un camp de concentration à avoir été libéré lors du procès de Rastatt en 1947, sur les demandes instantes d’anciens détenus.

Le 18 avril 1945, le camp est évacué et les déportés survivants sont dirigés vers le KL-Dachau.
Les plus affaiblis sont évacués en train et les autres partent à pied lors des « marches de la mort ».
650 déportés survivants des convois et des « marches de la mort » sont enregistrés dans le camp bavarois à leur arrivée. Le camp annexe de Dautmergen est libéré par l’armée française le 18 avril 1945.

Le bilan humain est terrible. En effet, 1 777 détenus des camps de concentration de Dautmergen et de Schömberg sont enterrés dans des charniers, devenus le cimetière de Schömberg après-guerre.
À ce chiffre, il faut ajouter les détenus affaiblis et les malades envoyés au camp annexe de Vaihingen pour y mourir.

Le camp annexe de Schörzingen

Le camp annexe de Schörzingen ouvre le 20 février 1944 sous le commandement du SS-Rottenführer Herbert OEHLER. Les déportés sont employés à la construction des sites d’extraction de schiste bitumineux, à la transformation en huile du schiste pour la production de carburant et au terrassement.

Le nombre des détenus affectés dans ce camp s’élève à au moins 1 000, pour la plupart des Juifs.
Les conditions de vie et de travail sont telles que 549 détenus y perdent la vie.

Le camp est évacué le 17 avril 1945 à l’approche des forces alliées. L’évacuation est relatée dans le récit du détenu mosellan, Julian HAGENBOURGER, matricule 7244. Suivant son récit, les détenus de Schörzingen sont partis à pied le 17 avril 1945. La marche a duré quatre nuits en passant par Beuron, Gaisweiler situé près de Pfullendorf, Owingen, jusqu’à Ostrach, où a eu lieu, dans l’après- midi du 22 avril 1945, le dernier appel. Dans la soirée, les SS quittent le terrain dans la précipitation.

Les déportés survivants sont libérés et secourus par des soldats américains. En parallèle, le camp annexe de Schörzingen est libéré par l’armée française le 18 avril 1945.

Le bilan humain est terrible du fait de la mortalité élevée dans le camp. Les dépouilles des déportés décédés en détention ont été ensevelies dans une fosse commune au lieu-dit « Donauwiese » (prairie du Danube).
En mai 1945, les autorités militaires françaises arrivent sur le site de cette fosse commune et font exhumer les corps s’y trouvant. On constate que la plupart des détenus sont décédés de sous-alimentation. D’autres enquêtes et des études approfondies des corps exhumés ont pu révéler que 40% des déportés qui sont décédés, ont été exécutés soit par pendaison ou soit par arme à feu
.[4]

 

Notes :

[1] Nous utiliserons par la suite l’abréviation KL pour le terme Konzentrationslager, qui est d’usage dans les documents administratifs nazis, de préférence à celle de « KZ » usitée par l’historiographie allemande.

[2] Un groupe de génie civil et militaire tirant son nom de son fondateur et dirigeant jusqu’en 1942, Fritz TODT, ingénieur et mandataire général pour la régulation de l’industrie du bâtiment, chargé de réaliser les projets de constructions militaires du Reich.

[3] Détenus chargés d'encadrer leurs codétenus dans les camps de concentration nazis. Les kapos étaient souvent recrutés parmi les prisonniers de droit commun.

[4] BESSY, A. Témoignage pour la postérité. Crime SS : raconté par ceux qui ont vu. Presses du Gouvernement Militaire de Rottweil/Neckar : Rottweil, 1945, 29 pages.

Courrier émanant du KL-Natzweiler et transmis à ses camps annexes regroupés autour du projet Wüste, [1944], [1.1.29], [82126289], © Digital Archive, Arolsen Archives.

Courrier émanant de l’Inspection des camps de concentration et transmis au KL-Natzweiler, [1944], [1.1.29], [82126291], © Digital Archive, Arolsen Archives.